PARCOURS "Que notre société passe à l’action et verdisse vraiment son cadre de vie !"
À l’heure du départ de son rédacteur en chef à la retraite, l’équipe du Lien horticole a sollicité le témoignage de Pascal Fayolle sur près de trente-cinq ans de journalisme spécialisé, sur son parcours et ses souvenirs marquants.
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Le Lien horticole : Qu’est-ce qui t’a amené à aller vers la presse horticole ?
Pascal Fayolle : Ce qui m’a conduit au journalisme, c’est la même chose que ce qui m’a amené à la filière horticole : le hasard de la vie.
À la sortie de l’école, précoce, j’ai envoyé un CV au hasard à une entreprise du paysage qui m’a embauché comme ouvrier.
L’entreprise a fermé. L’ANPE – nous sommes en 1981 ! – m’a proposé une formation en pépinière : oui, il y a quarante-cinq ans, les services chargés de placer les demandeurs d’emploi n’étaient pas très fixés sur les différents métiers du vert, du paysage, de la pépinière. Pour eux c’était pareil ! J’ai donc suivi un cursus au centre de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) de Saint-Germain-en-Laye (78), puis je suis devenu ouvrier en pépinière pendant deux ans au sein de l’exploitation du lycée.
J’ai ensuite fait un BTS en formation adulte au lycée Angers-Le Fresne, à Sainte-Gemmes-sur-Loire (49), parce que, malgré ma détestation de l’école, j’ai pensé que progresser dans le travail passait par la formation.
Je suis ensuite descendu à Montpellier (34) pour enseigner dans un lycée horticole : on peut détester l’école et avoir envie de tester l’autre côté de la barrière ! Comme j’étais contractuel, un titulaire a pris mon poste de prof... Je devais donc quitter Montpellier et je n’en avais pas envie.
Le Lien horticole, basé à l’époque à Pérols (34), donc tout près, cherchait une personne pour remplacer Francis Ginestet, qui avait quitté le journal (il y est revenu deux ans plus tard). Les choses ont débuté ainsi.
Initialement je ne m’orientais pas vers l’horticulture et je n’avais jamais imaginé être journaliste avant. Ceci dit, j’y ai totalement trouvé ma voie. J’ai fait ce métier avec grand plaisir et beaucoup d’engagement !
LLH : En tant qu’observateur sur le terrain, quelles évolutions majeures as-tu constatées comme journaliste horticole et rédacteur en chef ?
P.F. : Je les ai largement relatées dans les articles, les éditos… que j’ai eu l’occasion d’écrire. La réflexion que je me fais souvent : lorsque j’ai commencé à travailler en espaces verts, mon père me disait que semer des pelouses dans les jardins, ça ne pouvait en aucun cas être l’avenir. Qu’il fallait au contraire privilégier les légumes et les cultures vivrières. Il était marqué par l’époque – c’était alors le second choc pétrolier –, il avait été licencié de l’usine où il était ouvrier… S’il voyait aujourd’hui la filière, dans laquelle le paysage vit plutôt bien, pour utiliser un euphémisme, et la production dans un état aussi déplorable…
Mais en tout cas, ces conversations m’avaient conforté dans le fait qu’il est important de produire avant de consommer. J’éprouve aujourd’hui un certain effarement à voir notre monde délocaliser l’essentiel de ce qu’il consomme. Et la mode du made in France est en grande partie un leurre, un des nombreux paradoxes de notre époque !
Pour en revenir aux évolutions : outre le développement des services au détriment de la production, le fait qu’il faille de nos jours privilégier l’aspect immédiat des plantes, parfois aux dépens de leur avenir, pour répondre aux attentes des points de vente ; également la tendance au naturel, que ce soit dans le commerce ou le paysage.
Je ne peux que retenir que l’on a parfois, par le passé, défendu la production face au commerce en alertant sur le fait qu’un jour ils manqueraient de produits s’ils ne respectaient pas mieux leurs fournisseurs. C’est parfois arrivé, par exemple au moment du Covid, mais le naturel est revenu au galop, et la production reste trop en situation de faiblesse, actuellement…
LLH : Quels sont selon toi les faits marquants durant toute ta carrière, pour toi, pour le magazine, mais aussi pour l’ensemble de la filière ?
P. F. : Mon premier souvenir marquant de journaliste, mon premier Hortimat, à Orléans (45), pour Le Lien horticole en septembre 1990. Le salon, sûr de sa force, annonce devenir annuel et vole dans les plumes de son concurrent Hormatec, à Lyon (69)… Le second en est mort, le premier aussi. Cela a souvent nourri ma réflexion sur ces manifestations, en particulier sur l’évolution du Salon du végétal. Pour elles, changer c’est souvent mourir. Hormis les JdC Garden Trends, délocalisées à Marseille (13), je ne connais guère d’exceptions. Peut-être parce que les organisateurs attendent trop longtemps pour changer ?
Sinon, le 22 janvier 1992 : 40 cm de neige tombés sur Perpignan (66) et 500 ha de serres au sol. J’y suis allé quelques jours après, j’ai vu des producteurs en pleurs. Cela m’a marqué à vie.
Autres souvenirs forts : la chute en 1996 du Comité national interprofessionnel de l’horticulture, plus connu sous le sigle de CNIH.
Également, la tempête de 1999 : à l’époque, Le Lien horticole était hebdomadaire. Il a fallu modifier le journal pour faire la une avec les dégâts, en particulier à Versailles (78). Nous avons rentré des photos alors qu’à l’époque Internet et les e-mails n’étaient que balbutiants… un souvenir intense, le tout pendant la période des fêtes de fin d’année…
Puis, en 2004, la « naissance » de Valhor et les remous que cela a engendrés (voir la vidéo des 20 ans).
Ensuite, évidemment, la terrible période de 2010 à 2014, liée à la crise financière, où de nombreuses entreprises – parfois très importantes – ont disparu.
Et enfin le Covid : l’inquiétude provoquée, la vague de consommation qui a suivi et le calme plat qui règne depuis…
J’ai beaucoup travaillé sur le fleurissement des villes et je ne peux évidemment pas partir sans en évoquer un souvenir, en particulier l’arrivée du nouveau fleurissement, à la fin du siècle dernier. Dans les villes, une poignée de créateurs ont largement fait évoluer les pratiques et les plantations « au kilo », comme on disait. À l’époque, c’est le président Jacques Mougey qui a fait bouger les lignes. Il a ouvert les jurys et c’est à son époque que j’ai fait mes premières tournées. Cela a duré jusqu’à maintenant, même si la dynamique de cette période est moins présente et si aucun courant nouveau n’est venu relayer ce « nouveau fleurissement »... qui ne l’est forcément plus !
LLH : Quels sont les actions, les sujets traités ou dossiers dont tu es le plus fier ?
P.F. : Je ne sais pas si je maîtrise bien cette notion de fierté. Je cherche à faire les choses au mieux de ce qu’il est possible de faire. Mais je garde en mémoire la création des pages « Paysage », en 1995. C’est ma formation, je les ai gérées pendant pas mal d’années et j’ai longtemps suivi spécifiquement ce métier de la filière. Trop au goût de certains producteurs, je le sais, mais j’assume : s’ils veulent bien travailler ils doivent connaître les tendances et attentes de l’aval, même si les acteurs de la distribution et du paysage les agacent souvent !
L’autre gros travail qu’il faut retenir, car nous l’avons porté en équipe : c’est la transformation de l’hebdomadaire en revue mensuelle. Tout en proposant de l’actualité complémentaire, au quotidien, sur le site web. Un travail pas évident pour un tout petit effectif. Mais si, pendant la crise du papier en 2021 ou 2022, nous étions restés hebdomadaires, je ne sais pas si Le Lien aurait fêté ses 60 ans l’an passé, en 2024.
LLH : Quels enjeux attendent les professionnels ?
P. F. : Répondre sans cesse à des attentes de consommateurs évoluant toujours plus vite ! Le Lien horticole est là pour les y aider et je sais qu’il continuera de le faire sans moi. Entre ce qui bouge au sein des collectivités (plus de nature, moins d’imperméabilisation des sols…), ce qui augure plus de plantations en ville, et ce qui se passe chez les particuliers (un jardin qui se fait de plus en plus artificiel afin de laisser la place à la piscine, au barbecue et surtout pour donner moins de travail d’entretien), on peut dire que la convergence n’est pas forcément là, pour utiliser un doux euphémisme. Même si des discours disent parfois le contraire !
LLH : Quels sont tes souhaits pour la filière ?
P. F. : Le meilleur, évidemment ! Que cette société qui ne jure que par le vert dans ses discours passe à l’action et verdisse vraiment son cadre de vie, pour que la filière puisse en profiter. Que les industries gourmandes en main-d’œuvre puissent mieux vivre en France. Et que tout le monde ait conscience que planter du végétal dans le jardin est meilleur pour l’environnement et moins cher que de belles allées bien gravillonnées ! Et tant pis pour les éclaboussures sur les voitures !
Un autre souhait serait une société plus apaisée, qui ne se rue pas sans réfléchir sur le premier débat venu – le glyphosate ou le chauffage des serres – sans le relativiser et modérer ses changements de comportement. Contrairement à la consommation, qui change vite, la production vit forcément dans un temps plus long !
LLH : Quels sont tes projets pour les prochaines années ?
P. F. : Prendre le temps, consacrer ma liberté à mes proches et aux sports que j’aime, je n’ai pas toujours eu l’occasion de le faire assez correctement à mon goût. De mes activités professionnelles, je ne maintiendrai que quelques jurys, tels ceux du fleurissement ou des Victoires du paysage, si les organisateurs le souhaitent, en tout cas des choses proches du terrain.
L’écriture quotidienne, c’est terminé pour moi. Et je n’ai pas de projet vers la filière en termes de conseil ou autre, je ne me sens pas légitime pour cela. En tant que journaliste, on voit et traite beaucoup de choses différentes, mais jamais de manière assez approfondie pour se targuer d’avoir un œil suffisamment expert...
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